bruits de fond
La Villa Bernasconi présente une carte blanche à Luc Andrié. Plutôt que d'investir les lieux avec ses œuvres,
Littéralement symptomatique, politique, douce et révoltante, celle-ci ouvre les frontières des disciplines et parcourt ce qui agite la culture et l’art aujourd’hui. Ça marche merveilleusement bien ! « J’ai réuni des esthétiques borderline et une peinture que se laisse aller à toucher, celle de Bram Van Velde. L’expo transporte des pollutions qui sont dans l’air et produit des bruits qui sont des déconstructions des sens et des langages, pour reconstruire… » Explique Luc Andrié.
Le dispositif échappe au formalisme en aménageant une forme d’intimité pour le visiteur. Nous voilà invités dans une grande maison bourgeoise déjà contemporaine pour son époque. Les œuvres apprivoisent les lieux et leur donnent vie à la façon d’un mobilier de famille. Au programme : ambiance tonitruante au rez avec maquettes de guerre, grands portraits photos et mobilier design, remue-ménage des formes au premier étage, légèreté au troisième étage.
On passe d’une pièce à l’autre, monte les escaliers, s’attarde devant les œuvres. C’est intrigant et très confortable. Étrangement, on se sent un peu chez soi dans cette grande demeure. Pourtant ce qu’on y voit est discordant, cruellement réel, émouvant ou juste saugrenu. Évocation de l’enfance et des règles du savoir, l’abécédaire du critique d’art et écrivain Jean-Yves Jouannais, scande le parcours sur le principe du labyrinthe où l’on perd la notion d’auteur. Les 26 dessins sont les pages du livre de coloriage à libérer les interprétations que l’écrivain a conçu pour sa fille de 3 ans. Autre bruit de fond : les marges, avec des photos troublantes de Myr Muratet qui saisit les gens de la rue comme des héros de cinéma ou la joie sur les visages de ceux qui vivent la misère au quotidien. Héros ou vibrant d’humanité, ces gens à part nous font presque envie. On se trouve en décalage avec ce qu’on croit voir. L’innocence et la fraîcheur d’une humanité laissée pour compte font vaciller nos repères. Et puis il y a la guerre, très présente chez Luc Andrié qui est né en Afrique du Sud, qui surgit ici ou là. Les maquettes de Nicolas Bloudanis rappellent que les navires de guerre portent des noms extraits de la mythologie grecque comme si l’armée pouvait être poétique. Les chrysanthèmes au fusain d’Alain Huck évoquent une métaphore d’Hiroshima et posent la question de l’après. Comment survivre à la folie ? On aborde alors l’infime, l’indéterminé, le diffus qui se propage. Les gouaches sur papier de Stephan Landry qui semblent laissées à l’état de notes inachevées, une installation d’arceaux en aciers et socle béton de Nicolas Müller, les paysages de tapisseries, fleurs séchées et bibelots de Sandrine Pelletier qui reniflent le tendre, le désuet et le kitsch comme un écho aux maisons de famille bourgeoises, . Il y a aussi la mort qui rode, la disparition, l’effacement. On en revient à l’art et ses formes : quelle approche de la couleur, comment peindre aujourd’hui, que deviennent la figure, la nature morte et les motifs, comment raconte-t-on encore des histoires ? Guila Essya,Tina Schwitzgebel-Wang, Juliana Stadelmann font des vidéos à rebours ou empruntent le mode du jeux vidéo.
Au fil du parcours, des liens se tissent entre les médiums et les points de vue s’exposent et fond et forme enchevêtrent jusqu’à se fondre. Est-ce là une approche de la légèreté ? Celle du chef-d’œuvre de Bran van Velde « Sans notre. Paris, rue Gît-le-Cœur » ou du chien de Luc Andrié, recouvert d’une centaine de couches de peinture pendant deux mois de travail jusqu’à ce qu’il devienne presque invisible, un reflet sous la peinture, évanescent et pourtant profondément enfoui. Encore la peinture avec les toiles ultrasensibles de Jessica Russ, très douce, fluide où le figuré s’efface et s’échappe dans l’écho et le reflet. C’est très beau et complètement touchant. On ressort de cette exposition avec une étrange palpitation du temps présent : une sorte de résonance indicible qui dit l’époque que nous vivons.
article paru
le
2.10.2013
sur artshebdomedias.com
Bruits de fond
31.08-13.10.2013
Luc Andrié avec Nicolas Bloudanis, Giulia Essyad, Alain Huck, Jean-Yves Jouannais, Stephan Landry, Myr Muratet, Nicolas Muller, Sandrine Pelletier, Jessica Russ, Tina Schwitzgebel-Wang, Juliana Stadelmann, Bram van Velde
Villa Bernasconi
Route du Grand-Lancy 8
1212 Grand-Lancy/Genève
+41(0)22 794 73 03
www.villabernasconi.ch
Au fait qui est Luc Andrié ? Il vient d’exposer une série de dix-neuf tableaux intitulée Bolaño à Genève au MAMCO qui rendent compte de ses conciliabules silencieux avec l’écrivain chilien et sa série Brune à Lausanne.. Il y a cinq ans ces portraits du peintre en slip avaient été remarqués au Printemps de Toulouse. Il y a 10 ans, il faisait sa première apparition au MAMCO avec Rien d’aimable. Avec bruits de fond, il écrit une formidable partition pour entendre les bruits de fonds.
+ mamco.ch/andrie
ZEROQUATRE N°10
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