engagé enragé
Né dans les favelas de Buenos Aires, Rodrigo García est l’un des plus grands auteurs metteurs en scène contemporain de l’époque. Créateur de beauté, agitateur de valeurs, jeteur de chat dans la cage aux poussins jaunes, déshabilleur de cow-boys, metteur en scène du Christ… Il monte Daisy à Bonlieu avec deux superbes comédiens perruqués, trois petits chiens et autres bêtes inédites sur le plateau pour une leçon de coaching. Rencontre avec l’homme qui s’attaque à tous les tabous, à la barbe des bien-pensants.
Parlez-nous de votre nouvelle création
Plus que jamais, je continue à parler du langage. Les paroles devraient nous permettre de nous exprimer et de communiquer. Ce n’est pas le cas ! On s’ingénie à mettre en place des façons d’éviter l’autre et nous-même. Alors, je monte des associations improbables. Dans Daisy, il y a deux comédiens dont l’un est Leibniz disant des textes truffés de fausses citations de Freud, Locke et autres et un quartet de l’orchestre des Pays de Savoie qui interprète du Beethoven. Rien de solennel. Avec eux ? Un yorkshire, un chihuahua, un autre petit chien. Leibniz est leur coach ! C’est comique. Je trouve tellement ridicule cette position de coach. Elle montre l’incroyable désespoir et la solitude des gens, il faudrait presque mieux aller se saouler dans un bar ! Et toujours sur le plateau… 100 cafards, 30 escargots, une tortue de mer… Après plus de 40 pièces, j’aime toujours mettre des éléments incontrôlables. On ne sait pas à quoi s’attendre, cela crée une tension.
Que pensez-vous du scandale de « Golgota Picnic » ?
Je ne cherche pas à provoquer. J'expérimente avec des moyens poétiques qui peuvent parfois heurter les a priori et préjugés des spectateurs. L’œuvre est totale, elle chemine d’une pièce à l’autre.
Votre théâtre fabrique un monde à part, où il suffirait de jouer notre vie comme on lance un dé. Par exemple, on entrerait dans un café et choisirait la personne qui nous plaît le plus pour lui proposer de vivre une vie nouvelle. Quel est ce monde ?
Je parle de l’impossibilité d’aimer et de s’aimer et ne fais que fabriquer des situations absurdes qui ouvrent la possibilité poétique de l’amour. J’invente un langage en flirtant en permanence avec l’échec scénique. C’est un saut dans l’inconnu, enthousiasmant et fragile, le public partage ce risque.
Pourquoi ne pas être resté en Argentine ?
J’ai grandi sous la dictature. Quand elle est tombée, Raúl Alfonsín a dirigé le 1er gouvernement démocrate. Il était très bien mais dans l’impossibilité légale de gouverner parce qu’il ne pouvait rien contre les militaires et l’Église. J’étais étudiant, ça a été une grande désillusion. J’ai fait ma valise et suis parti pour Madrid. Je voulais être metteur en scène sans avoir la moindre idée de ce que c’était et pas de formation. Le théâtre ne s’apprend qu’en le faisant. Je voulais monter Shakespeare et suis devenu auteur par hasard. Il y avait un concours de littérature en Espagne, j’ai écrit un pur plagiat du Mac Beth d’Heiner Müller et gagné le prix. Aujourd’hui, je suis un auteur qui monte ses pièces.
Pourquoi le théâtre ?
Peut-être parce que j’avais du mal à aimer les gens, alors j’aimais les œuvres. Depuis j’ai progressé. On a tous besoin de s’inventer quelque chose pour pouvoir continuer à vivre.
Beaucoup de vos pièces sont créées à Bonlieu. Pourquoi Annecy ?
Il y a deux choses importantes, le rapport de confiance avec Salvador Garcia, directeur de Bonlieu et l’équipe. Salvador est venu voir la pièce que j’avais créée en hommage à Borges au festival de Buenos Aires. Il y a longtemps ! On est devenu complice. Mon meilleur souvenir ici c’est « Approximation sur l’idée de la méfiance », une pièce très expérimentale qui a marqué une césure. Et puis, j’adore la fondue et le marché du dimanche.
Quel est votre point de vue sur la crise Européenne ?
Je la vis dans la position inconfortable du spectateur. Sur le plan intellectuel, ce n’est peut-être pas une mauvaise chose. C’est étrange, les gens sont désespérés parce qu’ils n’ont plus d’argent alors qu’ils devraient l’être parce qu’ils éduquent mal leurs enfants ou ont une vie d’une banalité insupportable. L’argent cache les choses, quand il n’y en a plus, elles éclatent au grand jour.
Propos recuillis par Carine Bel
article paru
le
8.09.2013
surle Dauphiné Libére édition 74 D
Daisy
Texte et mise en scène Rodrigo Garcia création 2013
avec Gonzalo Cunill et Juan Loriente traduction Christilla Vasserot assistant à la mise en scène John Romão création lumières Carlos Marquerie musiques Daniel Romero quatuor à cordes Solistes de l’Orchestre des Pays de Savoie création vidéos Ramón Diago sculpture Cyrill Hatt perruques Catherine Saint-Sever direction technique Roberto Cafaggini création sonore Vincent Le Meur régie plateau Jean-Yves Papalia éducateur canin José-Claude Pamard opérateur surtitrage Rodrigo Blanch Production Bonlieu Scène nationale Annecy.
Auteur metteur en scène contemporain, produit de nombreuses pièces avec Bonlieu, le festival d’Avignon, la Biennale de Venise, le festival d’automne à Paris, etc. Ses pièces sont présentées dans le monde entier. Il vit à Ligueria, petit village des Asturies en Espagne.
1964 Naissance en Argentine, dans une favela de Buenos Aires, d’un père boucher et d’une mère vendeuse de fruits et légumes.
Enfance dans le baril, il est le « riche », celui avec qui tout le monde veut jouer même s’il ne sait pas mettre un ballon dans les buts, parce que c’est lui qui a le ballon de foot en cuir. Il commence à travailler avec son père en boucherie à 11 ans.
Études Ce qu’il en dit : « C’est le moment de la honte, j’ai étudié la publicité et la communication. C’était une discipline nouvelle en Argentine, même les profs ne savaient ce que c’était alors on étudiait la philosophie, l’économie, les humanités… »
1986 S’installe en Espagne, à Madrid.
1999 Première en France, au TNB, de Connaître des gens, bouffer de la merde.
2001 Premier succès international avec After Sun.
2004 à 2013 Rodrigo Garcia produit beaucoup de ses pièces avec Bonlieu.
2009 Lauréat du prix Europe Nouvelles Réalités théâtrales.
Hiver 2011 Après avoir été jouée sans provoquer beaucoup de remous en Espagne aux Pays-Bas, en Autriche, en Pologne, la présentation en France de Golgota Picnic, nouvelle création qui met en scène le christ, provoque la foudre des ultra-catholiques contre une pièce jugée « blasphématoire ». Manifestation et irruption dans les théâtres à Bordeaux et Paris où Le théâtre du Rond-Point est mis sous état de siège pendant 10 jours.
Depuis 2000 la plupart de ses textes sont publiés et traduits en français par les éditions Les solitaires intempestifs.
rodrigogarcia.es
ZEROQUATRE N°10
notre dossier : "Publions les artistes"
...........................
CARINEBEL
STUDIO
4 rue de la tour
F-74940 Annecy-le-Vieux
Tél. +33 (0)4 50 60 47 63
Mob. +33 (0)6 76 32 18 33
carinebelstudio@gmail.com