question de genre
À Saint-Etienne, la Biennale du design 2013 planche sur l’empathie et répand le goût de l’autre comme un virus. Et si ce goût de l’autre devenait une façon de piloter notre futur ? Poétique, expérimental, prospectif, rêveur, fonctionnel, le design de l’empathie engendre une collection d’objets innovants. Imaginez une machine à reconnaître les visages dans le ciel, une carte 3 D de vos déplacements dont vos temps de stationnement forment les reliefs, des greffes d’organes qui permettent de fabriquer sa propre nourriture en se transformant en homme photosynthétique, des voitures à concevoir soi-même en 5 jours avec Local Motors développeur d’automobile en open source, des emballages à manger, des chaussures qui épousent votre pied, des vases moulés au son de votre voix ou un dépendomètre qui mesure votre dépendance aux réseaux sociaux…Mais au fait qui est l’autre ? Nous avons parcouru ces expositions qui s’attaquent à la question des genres.
Exposition manifeste à propos des femmes et du design : C’est pas mon genre ! scande une petite histoire du genre de 1950 à nos jours en 40 objets, dont une majorité d’œuvres de designers et quelques productions industrielles. Ceux-ci sont identifiés et répertoriés selon le propos qu’ils tiennent sur la femme et réunis sous un titre tendre, féroce et caustique. d’une chanson de Boris Vian, l’effet d’une envolée de stigmates. Sois belle et tais-toi. Vide ton sac… Madame est servie ! Battue/ Battante, Femme libérée et Vieille fille. Canon contre-formes et ses 50/50. Mais au fait l’objet a-t-il un genre ou un sexe ? Oui, il y a le Bic cristal pour elle, la Tondeuse BBT361 de Staub version poids plume sans entretien spécialement pensée pour le sexe faible. Florence Doléac sort les super mamies Aliette, Henriette, Louise, Marguerite, Renée en veilleuses de nuit basse consommation. Chloé Ruchon réalise le Barbie Foot, jeu de mains sexy pour ces Messieurs ou jeu de bar réservé aux dames. Paula Cermeno conçoit le peigne à cheveux en argent qui devient une arme en cas de besoin. Marie Pendaries interprète la dote en parure de bijoux à ligoter celle qui la porte. Emilie Voirin revisite le fauteuil d’Emmanuelle avec un pare-visage. Maxime Gianni conçoit la pince à avorter soi-même. Arnold Degiovanni créé le sentimental billot, meuble de boucher revisité en siège pour asseoir une femme à baiser avec goulotte pour recueillir le jus. Humour, provocation, violence dans le propos et beaucoup de légèreté dans l’habillage graphique, la scénographie alerte, ouvre la discussion et dresse un état des lieux du design de genre et des liaisons dangereuses qu’il entretient entre masculin et féminin. Pas de jugement, ni mise en scène ! Les objets sont posés à plat comme une invitation à se baisser pour mieux entendre le propos intime qu’ils nous adressent. Commençons par une petite expérience à faire soi-même. Prenez les numéros d’Intramuros, le nec plus ultra du magazine de design, édité de 1985 à 2012 et répartissez les en 2 piles selon le sexe du designer affiché en couverture. La pile féminine mesure à peine un 5è de la masculine !
Cette exposition a été conçue par le Post Diplôme Design & Recherche de l’ESADST, Ecole Supérieure d’Art et de Design de Saint Etienne. Elle s’inscrit dans le cadre d’une commande de la Banque Centrale Européenne qui souhaitait mettre en avant le design français lors des journées culturelles européennes 2012 et permettre un rapprochement entre Francfort et Saint Etienne, toutes deux membres du réseau villes créatives de l’UNESCO. Les commissaires d’exposition Rodolphe Dogniaux et Marc Monjou ont souhaité qu’elle donne forme à une discussion sur l’intégration des femmes créatives dans l’entreprise, qui traversait l’ESADST. C’est pas mon genre ! a été présentée du 17 octobre au 14 novembre 2012 au Musée des arts appliqués de Francfort et est destinée à tourner dans les Instituts Français à l’étranger.
2e question de genre, celui de l’animal. L’exposition Les androïdes rêvent-ils de cochons électriques ? interroge le statut des bêtes. Clin d’œil redoutable au titre du roman de science-fiction de Philippe Dick Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? , la question émeut et dérange tant elle nous embarque sur les contours et la substance de l’humanité. Imaginons que la catastrophe nucléaire a eu lieu. Nous vivons dans un monde rouillé et crasseux où il n’y a plus d’animaux. Quant aux hommes ? On les distingue des androïdes en leur faisant passer le test de l’empathie. Ils se mettent à développer des objets qui ressemblent aux animaux. Comment ? Les designers ont plusieurs angles d’approche. Certains s’emparent du porc, animal le plus industrialisé, pour réinvestir des mythes. D’autres s’inspirent des animaux pour créer des formes, leur greffent des équipements de survie ou réfléchissent à une forme contemporaine du vivant. Au fil du parcours, on se laisse séduire par les Thermophores et Lungplants extra sensibles de Tim van Cromvoirt. Les premiers absorbent de la chaleur et changent de couleur en montant en température. Quand ils ont accumulés suffisamment de chaleur, ils retrouvent leur couleur d’origine. Les seconds résistent en absorbant de l’air. Si l’un d’entre eux grandit trop vite, il ne peut plus soulever son propre poids et meurt. Avec le TCC, Stéphanie Bureaux fait une spéculation : on n’a plus assez de nourriture pour faire de l’élevage. on fait ”pousser” des cellules pour produire directement de la matière animale qui remplacerait la viande. On retricote l’histoire en passant devant une réédition en français de La mécanisation et la mort, étude des abattoirs de la Villette par Sigfried Giedion à l’origine des principes du fordisme. Tombe nez à nez avec une drôle de créature, le FlyingPig composé de 50% de porc, 40% de chien, 5% de vide et 5% d’humain. . Ensuite, on passe en revue une série d’œuvres aussi étranges que troublantes. Michael Burton invente le masque pour transmission de bactérie entre l’animal et l’homme, Bill Burns conçoit masque, gant, gilet… équipements de protection pour animaux de petites tailles. Gilberto Esparza Gonzales génère des parasites urbains à partir déchets électroniques. James Auger et Jimmy Loiseau créent des robots domestiques d’un nouveau genre dont le robot- horloge tue-mouches. Commissaire de l’exposition : Marie-Haude Caraës.
3e question de genre : la machine. L’exposition Singularité part d’une mutation importante du numérique, les objets qui commencent à réfléchir, appelés objets connectés ou objets intelligents. Et si, très vite, les machines devenaient plus intelligentes que nous et se mettaient à prendre des décisions à notre place ? Aujourd’hui, c’est encore à nous d’en décider. La scénographie nous projette dans une galerie des glaces où parfois l’objet refuse de se montrer. Nous observons l’exposition autant qu’elle nous observe. L’on tente alors d’avancer dans un parcours déroutant semé d’objets problématiques. On reste en contemplation devant Murmur Study de Christopher Baker, une cascade de tweets générés en live depuis le début de la biennale. Si on s’approche des rouleaux de papiers, on peut tomber sur des bugs dans les écritures. On est plongé dans l’ère des Big Data, un champ incroyable de données avec une grande interrogation sur ce qui se passe derrière. Autres curiosités : Fabrique Hacktion de Raphaël Pluvinage, Sylvain Chassériaux et Léa Bardin, série de greffes pour éléments urbains ou Noisy Jelly kit de préparation pour gelée musicale de Marianne Cauvard et Raphaël Pluvinage, le cintre Facebook à « liker » les vêtements ou Al vs Al de Igor Labutov, Jason Yosinski, Hod Lipson, vidéo simulant une conversation entre deux robots. Si l’on va plus loin et pourquoi pas déconnecter l’expression du visage du cerveau, c’est l’idée de Daito Manabe qui propose un dispositif de stimulation électrique du visage. Commissaires d’exposition : François Brument et David-Olivier Lartigaud
Quel futur désirons-nous ? La biennale du design 2013 s’aventure aux lisières d’une humanité centrée sur l’expérience de l’autre avec des œuvres de designers qui traversent volontiers les frontières du design pour explorer les sciences, la sociologie ou la philosophie et rejoindre les problématiques de l’art contemporain. Visite recommandée !
Carine Bel
article paru
le 20.10.2013
surle Dauphiné Libére édition 74 D
Biennale Internationale
Design Saint-Étienne 2013
du 14 au 31 mars 2013
Commissariat et scénographie :
Rodolphe Dogniaux et Marc Monjou, avec les étudiants du post-diplôme de l’ESADSE
La cellule (Becquemin & Sagot)
Apparition d'une île, 2011
Commissariat : Marie-Haude Caraës
Scénographie : Adrien Rovero
Commissariat : François Brument
et David-Olivier Lartigaud
Scénographie : Éric Bourbon
et Noémie Bonnet Saint-Georges
ZEROQUATRE N°10
notre dossier : "Publions les artistes"
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